Traduction livre des 100 ans de la Marque Wenger Part1
Introduction
CENT ANS D’ESPRIT D’ENTREPRISE
L'originalité de l'entreprise de Wenger est d’avoir su lier le génie des techniques d’ingénierie propres à une région horlogère à celle de l’art ancestral et traditionnel de la coutellerie.
D'abord, bien sûr, ce fut l'affaire de fortes personnalités.
Puis, ce fut une histoire dans l'Histoire, celle de la société
dans laquelle se reflètent ses choix politiques, économiques et sociaux.
Et de son développement économique, des débuts jusqu'à nos
jours, afin de comprendre les processus de production, les relations humaines
et sociales : c'est l'histoire de l'évolution de l’entreprise, de ses
produits, de ses salariés et de son environnement. C’est le récit de ce qui se
cache derrière son succès, son univers en plus, c’est celui du couteau suisse
WENGER.
Une approche historique 1893-1993
CENT ANS D’ESPRIT D’ENTREPRISE
Dans la vie d'une exploitation industrielle, les facteurs humains, psychologiques et sociologiques déterminent les détails techniques, affrontant la logique économique et ses lois. Comme Henri Mendras souligne dans « Éléments de sociologie » : "toute activité économique crée des relations sociales et s'insère dans un système social. La rationalité purement économique et concurrentielle est accompagnée d'une rationalité sociale."
En écrivant
l'histoire de la coutellerie, nous avons essayé de montrer ces différents
aspects, et de temps en temps ses contradictions, qui caractérisent et
conditionnent le développement d'une compagnie.
Les quatre premiers chapitres présentent les principales étapes dans le développement économique de la coutellerie, depuis ses modestes débuts à Courtételle jusqu'à nos jours. Un cinquième chapitre se penche sur l'évolution des produits, tandis que les aspects humains et sociaux de la vie de la Société, en particulier, les relations entre employeur et travailleurs, seront examinés dans le dernier chapitre.
Chapitre I : Les débuts de la coutellerie à
Courtételle. Sa crétion et ses premiers déboires.
La création d'une usine de coutellerie dans la vallée du Delémont a été chaleureusement accueillie par l’ensemble de la presse professionnelle et régionale. Dans son édition du 7 Juillet 1893, L'Artisan, un journal rayonnant sur les environs de Fribourg, et qui a été utilisé par l'Union suisse des arts et métiers pour ses communications officielles, a publié un article sur le sujet, qui devait être repris par - Le Démocrate - dix jours plus tard.
«Comme le mécanisme d'une montre ..."
Selon un rapport manuscrit anonyme et non daté dans le dossier dans archives personnelles de la compagnie, l'idée de fonder une coutellerie dans la région était censée avoir été présentée au début de 1893 par Joseph Vultier, un coutelier, "dans un petit club d'amis ". L'un d'eux, Achille Maître, un horloger, "avait envisagé la possibilité de fabriquer le couteau de poche, mécaniquement, comme le mécanisme d'une montre ". A l'heure où la Suisse et la France étaient engagées dans la guerre des tarifs douaniers, il s'agissait de tirer parti des droits à l'importation beaucoup plus rigide qui mordaient sur les importations, afin de lancer une industrie considérée comme très lucrative.
Amédée COMTE - Un homme d'affaires avisé
« Quelques capitalistes» ont été contactés
pour fournir le financement nécessaire pour mener à bien le projet. Paul
Boéchat, un imprimeur de Delémont, a réussi à intéresser Amédée Comte, un
"grand industriel", qui a très vite senti l'odeur «d'une entreprise
avec de bonnes perspectives". Les deux hommes créent un partenariat. Les premières actions de la société commencèrent sous le nom de - Paul
Boéchat & Cie. Le « très entreprenant » maire de
Courtételle, propriétaire d'un atelier d’horlogerie qu’il avait fondée quelques
années auparavant, mit à leur disposition les locaux et sa direction. Paul Boéchat a personnellement pris en charge la comptabilité et les relations
avec la clientèle.
Les spécialistes venus de THIERS ...
Les débuts ne furent pas faciles. « Il a
immédiatement été réalisé », raconte le chroniqueur anonyme, « que le
coutelier Vultier, bien qu'étant un bon travailleur, n'avait aucune idée ce
qu’était la production de masse ». De son côté, Achille Maître a travaillé
sur la préparation des matrices pour les lames de ressorts et de poinçonnage,
appuyé par un vieux mécanicien et expérimentés. Ils sont arrivés avec des
résultats justes et produit un certain nombre de machines et d’outillage
pratiques, dont certains sont encore utilisés. En ce qui concernait l'affûtage et
le polissage des lames cela ne fonctionnait pas du tout, Vultier réalisa qu'il
ne pourrait jamais mené à bien cette mission et jeta l'éponge. "
Ils devraient avoir recours à des spécialistes - affûteurs,
polisseurs et des monteurs – en provenance de Thiers (Puy-de-Dôme), le grand
centre de la coutellerie française. Ces gens ont réorganisé l’entreprise en
utilisant leurs propres méthodes, par exemple, l’affûtage fut mis en pratique
avec l’ouvrier travaillant couché sur le ventre sur une planche de bois penchée
en avant, et en travaillant de haut en bas sur une meule d’un diamètre d’un mètre
et demi. "Haras Wüllschleger, un jeunes et très intelligent coutelier
suisse», déclare le texte, «n’a pas perdu de temps à en apprendre l’usage et
cela devint après, très utiliser dans l’usine."
Au début de 1895, la coutellerie déclarait officiellement
qu'elle employait 22 personnes, dont deux étaient des femmes et huit étaient
des jeunes entre 16 et 18 ans. Les machines travaillaient avec l'énergie
hydraulique qui était produite par une turbine de 20 CV. Selon notre source
anonyme: «Le secteur manufacturier a très bien fonctionné, mais il manquait
encore d’affinage et la qualité laissait à désirer. Malgré des sacrifices consentis
par MM Comte et Boéchat, les ressources financières commencèrent à manquer..."
La société fit sa première mutation.
... Remplacés par ceux
venus de Solingen !
En 1895, quelques individus entreprenants de la ville de
Delémont, poussés par le succès de l'usine de fabrication de petits couteaux de
poche de Courtételle, avaient conçu le projet de fonder une usine suisse de
productions de couteaux de table. Les promoteurs croyaient que les objets qui
étaient d'usage courant et quotidien tels que les couteaux de table ou de
poche, et pour lequel plus d'un million de francs était consacré à
l’importation de produits étrangers, devraient être fabriqués dans leur pays.
Ils ont commencé par racheter l’entreprise Boéchat & Cie, puis
constituèrent la Fabrique Suisse de
coutellerie SA. L'un d'eux, le directeur général de la Banque d’Escompte du
Jura, Otto Haller, est allé à Solingen pour trouver quelqu'un capable
d'organiser le secteur manufacturier. Ils croyaient qu'ils avaient trouvé l’oiseau
rare qui leur permettrait de faire fortune, en la personne de M. Grah. Il avait
« l’aire d’un brave type et il a su charmer tout le monde ». En 1896,
Amédée Comte construisit à sa demande une nouvelle usine de production à
Courtételle. Les spécialistes français ont été remplacés par "une foule de
travailleurs de Solingen".
La fuite
et la retraite désordonnée
Toutefois, le nouveau directeur général s'est avéré être
incapable de remplir toutes les belles promesses qu'il avait faites, et plutôt
que d'avoir à rendre compte de ses résultats, il a préféré mettre les bouts.
Les prouesses du gestionnaire suivant ont été encore pires. "La qualité de
fabrication des produits manufacturiés, qui étaient relativement bonne au moment
du départ Grah, a commencé à décliner", fit remarquer Paul Boéchat à plusieurs reprises ; comme
représentant de la compagnie, il était resté en contact constant avec la
clientèle. Ce directeur général a été très vite licenciée et remplacée par un
autre ... "Qui a mis fin à la ruine de l'entreprise».
Wenger est arrivé ...
"C’est
à sa succession", écrit le chroniqueur, « que M. Wenger a pris la
direction de l'entreprise. Il a immédiatement mis le doigt sur le problème. L’ordre
a été rétabli, dans les bureaux et les ateliers, et peu à peu le cours des
choses s’est calmé. Il donna les pleins pouvoirs à Boéchat pour remplacer les
produits invendables dans les stocks des clients et reconstituer soigneusement
un solide réseau de clients. Il ne serait pas exagéré de dire que la situation de
l’entreprise était désespérée avant qu’il arrive, tant du côté financier que de
celui de la fabrication ... La ruine frappait à la porte. Grâce au travail
acharné et ininterrompu de M. Wenger, et grâce à ses profondes relations
commerciales, il a réussi à redonner un nouveau souffle à cette entreprise. Il l’a
sauvé de la ruine par la reconquête de la confiance de sa clientèle et en l’a
mettant en position de combattre la concurrence allemande. "
Chapitre II : Sous les ailes de Théo Wenger. Pasteur par nécessité, chef d’entreprise par vocation.
Contrairement à la croyance populaire, Theo Wenger n'exerçait pas l’activité de «pasteur professionnel» quand il a pris les rênes de la coutellerie. Il avait quitté la prêtrise plusieurs années auparavant. Né le 3 Juillet 1868, à Eriswil, dans le canton de Berne, Théodore Wenger fut le cadet d’une famille de 7 enfants issus de l’union du Pasteur Rudolf Wenger et de son épouse Sophie, née Furrer. La maison familiale était rempli d’esprit de piété, et l'éducation des enfants suivait les préceptes de la Bible : «Celui qui ménage la verge hait son fils, mais celui qui l’aime le châtie bien!". Dès son plus jeune âge, il a déjà du mal à supporter l’atmosphère des presbytères, et n'a pas peur de le montrer. Il est envoyé au pensionnat de garçons de Königsfeld. Son père l’a toujours destiné au pastorat, mais les efforts de ses 3parents à faire de lui un guide spirituel ont finalement été voués à l'échec. Du fond de lui-même, il était «avant tout attirer vers des actions pratiques et audacieuses".
La fiancée secrète
Cependant, dans un premier temps, il s’inclina devant la volonté de son père et commença à étudier la théologie – quoique d’une manière
inhabituelle. À l'âge de 17 ans, alors qu'il était encore étudiant, il s'est fiancé à Bâle - secrètement, mais en connaissance de cause de la gravité de l’ensemble des ses actions - à Lisa Ruutz, la fille d'un marchand de la ville et un peintre de talent dans son art, qui était de dix ans son aîné. A cette époque, étant passionnément, ses études scolaires avait tendance à être délaissé, car il désirait ardemment se marier au plus vite.
« Cutting the cloth » et se mettre au travail
Ayant entendu parler de la possibilité d'acquérir
une formation rapide en tant que pasteur aux Etats-Unis, il est envoyé là-bas -
et quatre ans plus tard, il se trouva nommé à la tête d'une paroisse de
campagne à Billings, près de Kansas City, dans l'État du Missouri. Il revient
en Suisse pour se marier, et, en 1890, il repassa la mer avec sa jeune épouse,
un trousseau respectable et même un serviteur Souabe, pour prendre ses
fonctions au presbytère de Billings.
Très vite, le pasteur Wenger a commencé à se sentir
malheureux dans la vie. Le rôle de prédicateur ne lui suffisait pas - il aurait
préféré être un avocat. C'est alors que la perte soudaine de la voix, dans
lequel ses parents pieux virent la main de Dieu, lui fournit l'occasion de
changer de direction et de prendre son propre destin en mains. Il était peu disposé à commencer à
gagner sa vie comme simple employé. Et ainsi, avec l’aide d'un homme noir, il s’est
d'abord fait la main à la fabrication et la vente d’allume-feu. Mais pas pour
longtemps, car il s'est vite rendu compte que ce n'était pas le moyen d'offrir
une vie décente à sa femme et à sa petite fille.
Comme sa femme avait le mal du pays, ils ont décidé de
retourner en Suisse, et Theo Wenger est entré dans la société de textile
appartenant à son beau-père, Heinrich Ruutz, à Bâle.
Là, il a acquis une solide formation commerciale, tandis
que sa femme mit ses talents artistiques comme atout financier dans la
réalisation à la main de peinture sur porcelaine de chine, qui était très à la
mode à l'époque. Elle a également ouvert une école pour enseigner cet art. Ainsi
la famille passa les années 1892 à 1896 sans trop de soucis financiers.
Le sauveteur inexpérimenté
Toutefois, Theo Wenger aspirait à quitter
l'entreprise et la proximité de son beau-père. Un jour, il tomba sur l’annonce
d'une petite coutellerie de Courtételle, dans le Jura bernois, qui était à la
recherche d'un directeur général. Il fit des recherches et découvrit que
l'entreprise s’était mise dans une mauvaise voie, et qu'elle espérait trouver
un gestionnaire plus compétent qui pourrait la remettre sur la bonne voie. Il pesa
les choses. A cette époque, il y avait la paix en Europe et la fabrication
d'articles en acier se portait bien à la fois en Allemagne et en France. Mais
la production en Suisse, qui devait importer à la fois l'acier et le charbon,
était relativement chère ; elle manquait également des travailleurs
qualifiés dotés issus d’une tradition professionnelle de plusieurs générations.
Tous ces éléments devaient être pris en considération. Et en dépit de tout
cela, Théo n'avait aucune connaissance de l’univers de la coutellerie et de ses
fabrications, ni même de celui d’une entreprise industrielle. Mais en dépit de
tout cela, il sentait qu'il était capable
de redresser la "Fabrique Suisse de Coutellerie". Nous ne connaissons
pas exactement la date exacte de son embauche, ainsi que celle de sa prise de fonctions
en tant que Directeur de la Société (aux environs de la fin de 1897 ou bien
vers le début de 1898?) - La Société pour laquelle il se devoua corps et âme,
et à laquelle il donna son nom.
Pour commencer: le rachat
de l’usine de Bâle...
Theo Wenger avait à peine pris les rênes de la Fabrique
suisse de coutellerie, quand il négocia le rachat à son nom le rachat de A.
Mertens, Schweizer Britanniametallwarenfabrik à Bâle.
Dès que ce fabricant de cuillères et fourchettes a
été mis en vente, la compagnie du jura n’a pas perdu de temps à intégrer cette
gamme de produits dans la sienne, compte tenu de l'affinité existant entre ces
articles et les couteaux. Le contrat de vente a été signé à Bâle le 15 Juillet
1898 entre A. Mertens, de Mülheim en Rhénanie, le vendeur, et Theo Wenger en
son nom personnel, l'acheteur. La société du Jura a repris les actifs et
passifs de l'entreprise de Bâle pour Fr. 28.684,39, dont Fr. 10.000 ont pris la
forme d'actions de la coutellerie, le solde devant être payé par un ordre de
virement sur le compte de la Banque d’escompte du Jura à Delémont.
Les autres clauses prévues par le contrat, portaient sur la
production issue des locaux de l'usine qui, d'un commun accord, ne devait pas
entrer en concurrence directe les uns avec les autres sur les marchés suisse et
allemand pendant une période de dix ans, ainsi que l'obligation, pour le
vendeur, de transférer ses savoir-faire et ne pas détourner de l’usine de
couteaux les travailleurs dédiés à la fabrication d'objets Britannia.
... Et son transfert à Delémont
Tout le matériel et le personnel - ce dernier étant composé exclusivement de travailleurs de la Rhénanie - ont été transférés à Delémont et installé dans une usine louée. Le Démocrate rapporte sur l'événement, le 11 Octobre 1898: "Une nouvelle industrie s'est établie à Delémont, en tant que filiale de la Société de coutellerie suisse. En effet, cette dernière a acquis une usine de cuillères et fourchettes à Bâle, qui est déjà en opération à l'Ancien Four, avec son contingent de 28 employés à temps plein. L’entreprise qui n'est pas débutante dans le domaine, pourrait se développer considérablement à partir de ses produits en fer-blanc qui sont très appréciés. Nous en sommes très heureux au nom des deux initiateurs et de la région, qu’ils bénéficieront de cette nouvelle activité industrielle... ».
Cette transformation a appelé à une modification de l'acte constitutif et les statuts de la Société, qui est devenu, selon l'Annuaire de 1899 du registre commerce et de l’industrie suisse, la Fabrique suisse de coutellerie et d'articles en métal Britannia SA, avec un capital social de Fr. 200.000 divisés en 400 actions de Fr. 500 chacune. Elle emploie une centaine de personnes en tout. L’entreprise de Coutellerie de Courtételle emploie 53 travailleurs de sexe masculin et 11 travailleuses et les deux tiers d'entre eux étant des gens de la région, dont 18 étaient de Courtételle et 14 de Develier ; seulement trois provenaient de Solingen. Les ateliers de fabrication de cuillères et fourchettes à Delémont employaient 26 travailleurs, un seul d'entre eux étant une femme et les trois quarts d'entre-eux venaient de Rhénanie.
Concentration et le développement à Delémont
Les ventes de produits des deux usines ont augmenté
beaucoup plus rapidement qu’on l'avait jamais espéré, et la Société a décidé
qu'il serait nécessaire de construire de nouvelles installations pour tenir
compte de leurs pleines expansions.
Le Démocrate du 19 mai 1899 fait l'écho d'un transfert de
la coutellerie à Delémont:
«Plusieurs journaux ont annoncé qu'il y a des discussions
en cours sur l'établissement d'une coutellerie à Delémont, qui pourrait
employer 300 salariés. Il s'agit d'une question de restructuration des
opérations de la coutellerie de Courtételle, qui en ce moment sont divisées sur deux implantations différentes.
Il s'agirait de la construction d'une grande usine à Delémont dans laquelle
serait fabriquée des cuillères de luxe dans un métal spécial. Effectivement, cette
activité aura sans aucun doute un développement prometteur.»
Le conseil municipal a été convoqué en assemblée afin de
décider si oui ou non il allait utiliser les finances publiques pour aider à
établir la coutellerie de Delémont. Le conseil municipal ne pouvait pas rester
à l'écart, étant donné que plusieurs autres communes, plus particulièrement
celles d'Olten et Pratteln, avaient essayées d'attirer la Société avec d’autres
atouts, bien que ce dernier semble préférer Delémont - mais seulement sous
certaines conditions.
Vaines polémiques, études
utiles
Sur un autre plan, Le Démocrate du Ier Juin a attaqué Le Pays de Porrentruy qui avait
critiqué "les politiciens qui sentaient le désir d'accroître leur fortune
et de s’assurer un certain nombre de nouveaux électeurs pour les élections
futures". Derrière cette attitude, le journal Radical fait
percevoir "la haine de certaines âmes et leur crainte profonde du
développement commercial et industriel de notre région".
Mais ce n'était que vaine polémique, parce que le 4
Juin, l'assemblée communale a voté à l'unanimité en faveur de la proposition du
Conseil d'accorder une indemnité de 20.000 francs pour les terres dans le but
de permettre l’établissement de l’usine de couteaux et d’objet de service en
métal à Delémont. "L'unanimité avec laquelle cette décision a été prise lors
de cette grande assemblée, prouve que la population de Delémont était décidé de
manière certaine à ne pas laisser passer toute opportunité permettant d’assurer
le développement de la ville", a commenté Le Démocrate. Deux semaines plus
tard, la décision de construire la nouvelle usine de production a été annoncée.
Le site choisit fut celui des fourneaux à charbon de bois de Delémont, dont les
terres et les bâtiments ont été achetés par la coutellerie, le 13 Juillet 1899.
Avant de se lancer dans le projet, des recherches et études ont été menées au
cours de différents voyages d'étude s’étendant aux différents centres de coutellerie
européens : tels que Solingen, Lüdenscheid, Thiers, Langres et Sheffield. Les différents
avantages et inconvénients des méthodes de fabrication et installations
techniques ont été intégralement examinés. Le permis de construire a été
accordé le 16 Juillet 1900. Les ateliers de Courtételle ont été transférés et
installés dans les nouveaux locaux de Delémont avant la fin de l’année. Selon un
ouvrage publié en 1902, traitant de l’industrie en Suisse, les travaux de
Delémont ont été un succès tant du point de vue technique et que de celui des
conditions sanitaires.
La nouvelle usine ...
La Société s’étendait 6800 m² de surface au sol, les
bâtiments et installations en occupaient jusqu'à 1900 m2. C'était un bâtiment
rectangulaire, 66 m de long par 28 m de large, située au nord sur la Route de
Bâle. Les ateliers d'affûtage, de polissage et d'assemblage se trouvaient dans
la partie centrale, l’aile ouest abritait les bureaux et les magasins, et
tandis que l’aile est était occupé par la forge, la fonderie de cuillères et les
réserves des produits chimiques. L’énergie électrique était fournie par l'usine
de Comte à Courtételle. Douze dynamos, produisant une puissance totale de 100
CV, alimentaient les machines et à la nuit tombée, les 275 lampes d’éclairage à
incandescence des ateliers. La Société a pris le nom de Fabrique suisse de
coutellerie et services (Schweizer Besteck-Fabrik). Son capital social augmenta
jusqu’à 262.500 francs, divisé en 400 parts sociales de Fr. 281,25 chacune et
400 autres de Fr. 375. Fritz Gygax, de Bâle, présida le conseil
d'administration et Theo Wenger géra l'usine qui employait plus de 150
travailleurs en 1902. La famille Wenger quitta Bâle pour aller vivre dans une
maison avec un jardin, située à l'est de l'usine, sur un terrain acheté par la
Société.
... et ses produits
Les produits fabriqués par la coutellerie se
répartissent en trois catégories: l) les couteaux de table; 2) les couteaux de
poche, lesquels inclus le couteau de soldat suisse réglementaire, et 3) les articles
en métal Britannia: cuillères et fourchettes, cuillères pour enfants, cuillères
à thé, cuillères à soupe, louches, ainsi que des chandeliers, des tamis, des
pots d’huile et de vinaigre, des anneaux à serviettes, plats à barbe, des
sifflets de chasse et des... crucifix. Dans L e Démocrate du 14 Novembre 1902,
la coutellerie a également offert ses services pour "le nickelage des
objets ménagers, techniques
pièces et articles de sport ". Les exportations étaient
essentiellement tournées vers l'Italie en raison de l’importance des tarifs douaniers de l’époque qui
fermait les frontières de la Suisse aux autres pays voisins dont l'industrie
était florissante.
La prospérité et un grand remue-ménage
Le 19 août 1905, L'Impartial du Jura a annoncé une augmentation du capital social de
la coutellerie au travers de l’émission de 315 actions de Fr. 500 chacune ;
le signe d'un nouveau développement pour cette société "bien qualifiée et
prospère". Puis le 25 Septembre, la presse rapporta que le pouvoir
décisionnel de la Société était retiré à MM Wenger et Gygax, et qu'un nouveau
directeur était nommé: Hans Mury, de Bâle. Pourquoi tout ce remue-ménage à la
tête de la Société? Tout simplement parce que Theo Wenger avait décidé quitter
la direction de l’entreprise pour se consacrer uniquement à la
commercialisation des produits, tout en restant en poste à Bâle. Après de longues
négociations, il réussi à obtenir des droits
exclusifs de vente sur l’ensemble de la production. Il aurait même menacé
d'ouvrir une société concurrente.
WENGER THEO rachète la coutellerie
Theo Wenger et sa famille sont
retournés à Bâle, d'où il dirigeait le service commercial avec l'aide de deux
voyageurs de commerce. Toutefois, les choses ne sont pas passées comme prévu.
Il a bientôt été forcé de constater que la Société dont il dépendait s’était mise
sur une mauvaise voie, en dépit du fait que, comme cela avait été rapporté dans
L'Impartial du Jura, le 1er mai 1906, M. Mury avait été remplacé par M.
Winklausen, ancien responsable de la production de l'époque. La faillite menaçait. À son avis, il n'y
avait plus qu'une seule solution, reprendre la direction de l'usine pour
lui-même. Mais la question fut de savoir où trouver l'argent.
Theo Wenger, accompagné de son épouse, a démarché d'innombrables
amis et relations dans l'espoir de trouver des capitaux à investir, mais sans
grand succès. En dernier recours, il se rapprocha de la Banque Cantonale de
Berne. Cette institution fut prête à lui accorder un prêt d'un demi million de
francs au taux de 7%, pour l’aider à consolider les usines de Delémont. Il
avait réussi à convaincre ses dirigeants que, sous sa direction, la Société redeviendrait
une opération rentable. Selon son gendre, cet emprunt permit de sauver la
société, mais pour Theo Wenger, ce fut jusqu’à sa mort un lourd fardeau à
porter, même s'il «gagna assez d'argent avec les usines".
Le 13 Mars 1907, le contrat de vente fut signé,
transferant les droits de propriété de l’usine de couteaux à la société Wenger
et Co. Amédée Comte, devenu préfet de Delémont en 1905, et Gérald Siegfried,
notaire, administrèrent la liquidation de la Fabrique suisse de coutellerie et Services (Schweizer Besteck-Fabrik) SA. Le 1er
avril 1908, Theo Wenger, de Berne, Fritz Gygax, de Schwarzhäusern, tous deux domiciliés à Bâle, et Alfred Meyer, de Bâle, demeurant à Delémont, fondèrent une société en commandite sous le nom de Wenger et Co, Forges, manufacture de coutellerie et d'articles en métal Britannia, ayant commencé le 1er Janvier 1908.
"LA SOLITUDE"
En 1909, la famille Wenger retourna une fois de plus vivre à Delémont. Elle s'installa à La Solitude, une maison avec un jardin en terrasse située en bordure de forêt, à une vingtaine de minutes à pied en surplomb de la ville. La situation isolée de la propriété était en parfait accord avec les tendances de Theo Wenger à l'égard de «splendeur de l’isolement». Lisa Wenger, de sib côté, souffrit de cette «solitude». Mais à chaque chose malheur est bon ; cet isolement l'a amenée à commencer à écrire, et l'a transformée en un conteur reconnu et en écrivain de langue suisse allemande.
Les origines d'une
tradition de l’innovation
Erich Oppenheim laissa un portrait
plus ou moins flatteur de son beau-père comme entrepreneur et homme d'affaires.
Il était plein de ressources, avec une bonne compréhension des techniques de
fabrication et ne cessait de se tenir informé en lisant des revues
professionnelles. Par exemple, il reconnut très tôt que le simple chromage en surface
de l’acier augmentait la durée de vie de l’objet, ce qui l'a amené à introduire
en Suisse le premier couteau de table en acier nickel chrome (nichrome).
Les archives de la Société ayant disparu, peu d’informations
purent être collectées sur la période 1908 à 1921, ce qui correspondait à la
période de la société en commandite, mais dans tous les cas l’entreprise fut marquée
par la Première Guerre mondiale. D’après un «récapitulatif sommaire",
écrit par un syndicaliste militant, au cours de la période de 1914 à 1920, les
éléments en aluminium ont été très en vogue, et cette production a été
poursuivi durant une certaine période par les usines de couteaux.
"Les premiers couteaux de poche premier en acier
inoxydable», écrit-il, "ont été produites à partir de 1919 pour le numéro
112, puis durant les années suivantes pour les autres modèles ainsi que les
couteaux de table, les cuillères et fourchettes suivirent quelques années plus
tard." Pendant plusieurs années, ils produisirent des machines à polir
l’argent TAHARA, principalement utiliser par les hôtels; la fabrication bénéficiait
d’un brevet pour toute l'Europe.
Le boom des années de la première guerre mondiale
La guerre de 1914-18 a certainement eu un impact sur la usine de coutellerie. D'un côté, les perturbations infligées à des échanges commerciaux, la suspension des paiements (le moratoire) et une inflation galopante causèrent de graves problèmes financiers ; et de l'autre, la production helvétique a pu bénéficier des difficultés rencontrées par l'industrie de la coutellerie des pays voisins en guerre. Et comme beaucoup d'autres entreprises de la région, la coutellerie a fabriqué des munitions; en avril 1915, ils produisirent des shrapnels à destination des alliés.
En Septembre 1917, la société Wenger ouvrit un atelier à Movelier, qui employa jusqu'à 21 travailleurs - polisseurs, monteurs, façonneurs et de finisseurs.
En 1935, pour les remous économiques, le magasin a été fermé Movelier et transférés à Delémont. Le Rapport annuel de 1939 fait mention de "conditions exceptionnelles dont a pu bénéficier substantiellement notre société au cours des trois dernières années de la guerre de 1914-1918".
En l'absence d'autres données chiffrées, l'augmentation du nombre d’employés pour la période du début de la guerre à l’immédiat après-guerre, constitue une période de forte croissance. En fait, l'effectif est passé de 129 personnes en Janvier 1914 à plus de 180 en 1920.
D’un autre côté, la Société a été très durement touchée par la reconversion d'activités de temps de paix à partir des premiers mois de 1921. En Février, 34 jeunes travailleurs, hommes et femmes, ont été licenciés en raison du manque de travail. À la fin de l'année, Wenger & Co. avait seulement une centaine de travailleurs inscrits sur le registre du personnel. Était-ce la crise économique qui a précipité la transformation de la structure financière et juridique de la Société ? En l'absence d'une documentation précise à cet égard, on ne peut que deviner. En 1922, la coutellerie a subi une nouvelle et importante transformation qui ouvrit un nouveau chapitre dans l'histoire de la Société.